Gentleman versus Mister Bean, ce précurseur du concept store a bâti son empire de mode aux rayures et couleurs acidulées tout « en s’amusant ». Yes sir !
Paul Smith – Chic et choc
Comment règne-t-on sur plus de 500 boutiques et corners à travers le monde sans jamais se prendre au sérieux ? Et bien, on s’appelle Paul Smith, tout simplement. Retour en arrière. Rien ne prédestinait cet anglais de Nottingham à devenir le plus grand créateur de mode britannique contemporain. Adolescent, un grave accident de vélo et six mois d’hôpital interrompent sa passion pour le cyclisme. Désœuvré, entre concerts londoniens et bières dans les pubs de Nottingham, il rencontre des étudiants de l’école d’art de sa ville et particulièrement sa future femme, Pauline Denyer. C’est la révélation. Quelques années et bon nombre de cours de stylisme plus tard, il ouvre avec son épouse une minuscule boutique dédiée au sur-mesure masculin. Nous sommes en 1970 et en plein quartier bobo de Notting Hill. L’échoppe de 9 m2 est à l’image des paroles qu’il aura, un empire plus tard : « Je n’ai jamais vraiment rêvé d’avoir une grosse affaire ou d’être populaire. Moi, ce que j’ai toujours voulu, c’est passer une bonne journée. »
Hors normes
Une insatiable curiosité, une fantasque désinvolture et un dandysme certain se mêlent chez ce grand enfant d’1m90. Personnalité hors norme, Paul Smith puise ses inspirations dans ses voyages, les arts, la musique, les gens qu’il rencontre, les clichés des seventies – ceux du photographe David Bailey – et le dandysme des années 60. Les objets vintage, disparates, voire kitsch, dont son bureau londonien est la parfaite chapelle, font aussi partie de sa vie. Par dessus tout, ce créateur-gentleman aime se démarquer des stéréotypes : « Penser out-of-the-box ». Toutes ces références bigarrées qui crépitent dans sa vie sont tempérées par un style de vie ultra simple, certainement issu d’une jeunesse au sein d’une famille modeste. Un réveil aux aurores, quelques brasses, ni domestique, ni jet privé, une Austin Mini qu’il conduit lui-même, un look simple et naturel, et surtout, sa femme Pauline avec qui il vit depuis 40 ans… Paul Smith se définit comme « un type normal, qui fait des choses simples, avec le sens du détail. »
Irrévérence et révérence
Né en 1946, Paul Smith présente sa première collection pour homme à Paris en 1976. Trois ans plus tard, il est bien inspiré lorsqu’il ouvre un magasin à Covent Garden, futur haut lieu du shopping londonien. Dans les années 80, les célébrités s’emparent de ses créations qui affirment un style excentrique et hors des conventions. L’engouement pour l’univers Paul Smith est en marche. Au cours des années 90, la maison élargit son vestiaire en créant une ligne de prêt-à-porter féminin et une gamme pour enfant. Sa popularité ne cesse de grandir, David Bowie ou Tony Blair sont fans de la griffe. Au fil du temps, le couturier aiguise son style, oscillant entre l’irrévérencieux et le classique. En 2000, c’est la consécration, la reine Elisabeth II anoblit sir Paul Smith pour services rendus à la mode britannique.
Touche-à-tout
Ligne de montres, chaussures, parfums, vaisselle, papeterie, meubles… sa création ne s’arrête pas aux vêtements. « J’ai tellement d’idées qu’il n’est pas facile de les filtrer et de les canaliser. Cela rend mon entourage complètement dingue ! » En 2008 et pour les 50 ans de la Egg Chair, l’artiste israélo-palestinienne Tal R lui offre un nouveau look et Paul Smith la revêt d’un nouveau tissu. Il revient à sa passion de jeunesse et dessine un vélo en fibre de carbone ou s’associe avec la marque de sport Rapha pour créer Rapha + Paul Smith : une ligne de vêtements pour cyclistes pros. D’ailleurs, il créé en 2013 le maillot officiel du tour d’Italie et vient de s’associer à Castelli pour signer quatre maillots de leader pour le tour de Dubaï 2015. Prolixe, le créateur a présenté en janvier à Londres sa nouvelle collection « A Suit To Travel In », des costumes infroissables permettant une complète liberté de mouvement. Et il vient de livrer une version sur-mesure du fameux 4×4 Land Rover defender, utilisant une palette de 27 couleurs différentes !
Gentleman entrepreneur
Ce dandy créateur photographie de façon obsessionnelle toutes les curiosités qui croisent sa route. Le mur sur lequel figurent ses photos Instagram® témoigne de ses inspirations éclectiques qui font le succès de sa marque. L’exposition « My Name is Paul Smith » qui lui est consacrée à Hasselt (Belgique) et qui suit celle de Londres, est un mix éclectique de photos, vidéos, vêtements et archives personnelles retraçant la mixité de son travail. Son propre bureau, la réplique de sa première boutique de Byard Lane à Nottingham et l’atelier du créateur ont aussi été recréés dans le musée pour mieux cerner sa personnalité anticonformiste, libre et moderne. Avec des créations conçues entre Nottingham et Londres et surtout réalisées en Angleterre et Italie, sir Paul Smith diffuse dans plus de 70 pays, mais veille jalousement sur l’indépendance quasi familiale de l’entreprise qui porte son nom, Paul Smith Limited. À la fois président et designer, il participe continuellement à tous les aspects de sa société conservant ainsi la touche personnelle qui fait souvent défaut aux entreprises de même envergure. De plus, chaque boutique a sa propre identité, déco et personnalité, offrant une expérience unique. « Aucun webshop ne peut rivaliser avec cela » affirme le créateur. Avec plus de 400 millions € de chiffre d’affaires, le groupe Paul Smith est l’une des plus grandes success-story anglaises. « C’est tout simplement absurde. Je me demande régulièrement comment tout cela a pu arriver ! » s’exclame le couturier. La clé de cette réussite tient selon son fondateur, à une conviction : « la chose la plus importante, c’est de savoir que pour survivre dans l’industrie de la mode, (…) on ne peut jamais s’asseoir dans un fauteuil et se dire : je l’ai fait. (…) Le boulot d’un créatif est de toujours avancer. » Finalement, l’idée de la création n’est pas loin de celle qu’a Paul Smith du cyclisme : « un symbole de liberté, la sensation de la route ouverte ». Bonne route sir !
Clémentine Lampreia, avec Emmanuel Monvidran